"Un cheval ! Un cheval ! Mon royaume pour un cheval !".
Qui ne connaît pas cette tirade de la pièce Richard III de William Shakespeare ? Il s'agit sans doute de la réplique la plus connue d'une œuvre de fiction où j'apparais. Et dieu sait qu'il en existe ! En effet, il ne faut pas croire qu’au-delà de la mythologie, je cesse d'exister dans vos récits.
On continue à me croiser dans la littérature orale puis écrite. Au VIIIe siècle, je suis héros du conte Le Cheval enchanté, dans les Mille et une nuits. Sous la forme d'un cheval mécanique, j’aide le prince de Perse à sauver la princesse du Bengale des griffes d'un sultan du Cachemire. Tout comme le cheval de Troie, je ne suis alors qu'un outil entre des mains humaines.
En Occident, je hante les chansons de geste médiévales ou les romans d'amour courtois. Là, je demeure un personnage secondaire, un outsider n’existant que pour amplifier les vertus de son maître ou pour lui permettre de vivre ses aventures. Je suis rarement nommé. D’ailleurs je mettrais mon sabot à couper qu’aucun de vous ne connaît Veillantif, le cheval de Roland… contrairement à son épée Durandal. Cette faible valorisation de mon espèce dans la littérature s’explique peut-être par la censure imposée par l'Église, nous faisant passer pour des animaux diaboliques.
Au fil des siècles, même si quelques-uns de mes congénères accèdent à la notoriété – telle la jument Rossinante de Don Quichotte – je demeure rarement mis en scène pour moi-même. Il faut attendre le XIXe siècle pour que les auteurs me prennent réellement en considération.
Mais que ce soit sous la plume de Guy de Maupassant ou d'Émile Zola je suis souvent décrit comme le compagnon de misère, tour à tour battu, boiteux ou mourant de faim. Mais à cette époque, les progrès techniques me laissent peu à peu sur le bord du chemin. On cesse de me voir alors comme un simple outil, ce qui ouvre la voie à plus de considération à mon égard. La littérature s’en fait l’écho. Dans le roman animalier, j'ai enfin voix au chapitre. Pour la première fois, dans le roman d’Anna Sewell, Black Beauty, je m'exprime en tant que personnage. Le succès est tel auprès du jeune public que d'autres héros équins m'emboîtent le pas, tels Crin-Blanc ou Flicka.
Pourquoi un tel engouement ? Sans doute parce que nous, les chevaux, véhiculons l'image rassurante d'un ami par le biais duquel l’enfant peut se réaliser. De plus, le lien fort et unique noué avec l'Homme au fil du temps, permet d'aborder des notions complexes comme la persévérance, la patience ou le respect. Mais surtout des thématiques universelles telles la mort ou l'amour. Qui a dit que je ne suis pas parfait ?