Perspectives cavalières

Allez savoir pourquoi, de tous les animaux je suis sans conteste celui que vos semblables ont le plus représenté. Que ce soit dans les grottes ou les palais royaux, on me retrouve sous forme de peintures, gravures ou sculptures. Modestement, j’y vois l’incarnation de la première forme de relation ayant existé entre l’Homme et moi : la fascination. 


Au cours du Paléolithique, rien ne me prédispose à figurer au panthéon des représentations pariétales où je supplante mes congénères. Car nous sommes tous logés à la même enseigne, chassés pour subvenir aux besoins de l’être humain. Pourtant, près de la moitié des dessins animaliers de Lascaux sont des chevaux. Et je ne compte pas les figurines sculptées dans des os.

Ma domestication, survenue au plus tard aux alentours du IIIe millénaire, ne stoppe pas ce phénomène. Cela donne l’impression que plus l’Homme me connaît, plus je l’envoûte. Sans doute voit-il en moi un don des dieux. J’apparais dans l’art celte sous forme d’amulettes, comme tout près d'ici à Joeuvres, ou de masques stylisés tel celui de Stanwick en Angleterre. Toutefois, il faut attendre l’apogée de l’art grec pour que vos ancêtres me représentent tel que je suis, tous muscles saillants, et non comme ils me ressentent.

Au Moyen Âge je chute de mon piédestal. On continue à me représenter, mais uniquement en tant qu'adjuvant de l’Homme. J’orne les grandes scènes de batailles telles celles, envoûtantes, de Paolo Uccello.

Cet aspect utilitaire domine l’histoire de l’art jusqu’au XVIIe siècle. Entre temps, l’invention du portrait équestre – peint ou sculpté – renforce le symbole de puissance que j’incarne. Mais par un jeu de miroirs, celui qui me monte s’en trouve seul auréolé. C’est pourquoi je suis associé aux rois ou empereurs.

Heureusement pour moi la peinture flamande invente l'art animalier et mon individualité est enfin reconnue. Les artistes me considèrent pour ce que je suis, non pour ce que je représente. Cette forme d’expression connaît son apogée au XIXe siècle, sous les pinceaux de peintres romantiques tels Géricault ou Delacroix, puis avec le courant réaliste représenté, entre autres, par Rosa Bonheur.

Aujourd'hui, les artistes s’affranchissent de toute règle pour me représenter. Andy Scott rend hommage à mon rôle essentiel dans le développement de l’industrie minière avec ses Kelpies, tandis que Maurizio Cattelan refuse de donner des explications sur le sens de ses chevaux empaillés. Selon lui, chaque spectateur attribue la signification qui lui paraît juste, redéfinissant ainsi, à chaque fois, la relation existante entre Moi et l’Homme.


Le bestiaire ou cortège d'Orphée

Guillaume Apollinaire, gravures sur bois par Lorjou, Paris : Edition d’Auteuil, 1965 (3R 107)

Le cheval bleu

Gérard Bochelier, gravures sur bois par Sylvana Mazet, Paris : Grandir, 1993 (ILL 7)

Mon beau cheval bleu

Gérard Bochelier, gravures sur bois par Elbio Mazet, Paris : Grandir, 1993 (ILL 15)

Le cheval bleu

Gérard Bochelier, gravures sur bois par Sylvana Mazet, Paris : Grandir, 1993 (ILL 7)