Henri Gougaud, qui a étudié ma symbolique, relève que je suis sans doute l'animal le plus cher à l'Homme. À tel point que j’ai très tôt été considéré – excusez du peu – comme un don des dieux capable d'arracher l'Homme à sa condition de primate. C'est pourquoi, bien avant que les grandes religions monothéistes statuent sur mon sort, je fais l'objet de cultes anciens.
Ma domestication semble être en partie à l’origine de ma sacralisation. En effet, aussi bien les peuples des steppes d'Asie centrale – m'ayant dompté en premier – que les indo-européens, m’associent à des rituels et représentations symboliques ou magiques. L’une des preuves les plus flagrantes de cette divinisation se trouve à Uffington, dans le comté d'Oxfordshire en Angleterre, où une silhouette chevaline de très grande taille est creusée dans la partie supérieure d'une colline, à l’époque celtique. Chez les populations de l’Altaï ou les tribus turco-mongoles, j’accompagne couramment mon maître dans son voyage vers l’au-delà.
Ce rôle de psychopompe, dont on trouve également trace dans la mythologie antique, semble être prédominant dans la culture des peuples chamaniques. Cette image du cheval suivant l’Homme par-delà la mort est aussi présente chez les Égyptiens, les Germains mais également les Asiatiques. Dans le culte Shintô, on m’utilise comme offrande. Cependant, cadeau onéreux, je suis petit à petit remplacé par des substituts en paille, en bois ou en terre cuite.
Vénéré en Inde – depuis au moins 4 000 ans – pour ma vitesse, ma force et mon intelligence, je prête mes traits à une divinité courroucée : Hayagrīva.
Mais l’avènement des religions monothéistes met un terme à ces zoolâtries. D’égal, je deviens inféodé à l’Homme. En effet, les trois religions du Livre établissent clairement une distinction entre l’être humain et l’animal. L’Islam révère celui-ci comme création divine, mais reconnaît également un lien d’asservissement puisque le Coran spécifie :
"Et Il a créé les chevaux, les mulets et les ânes pour que vous les montiez, et aussi pour l’apparat".
Dans le judaïsme et le christianisme, seul l’Homme est créé à l’image de Dieu. Les animaux étant de facto mis en position de servilité. Dans sa volonté d’éradiquer la moindre trace de culte païen, la religion catholique m’a même outrageusement relégué un temps au dernier rang des animaux : associé aux rituels de mort, j’ai été considéré comme animal diabolique ! Paradoxalement, la montée du darwinisme au XIXe siècle pousse les religieux à réévaluer leur jugement et à reconnaître en moi une preuve de l’intelligence divine dans la nature. Ite missa est !